vendredi 24 octobre 2014

Evgeniya Shelina (CCHS-CSIC, Madrid) : Les vocabulaires du « pouvoir » en Norvège et en Islande médiévales

Abstract/Résumé

Abstract

Social sciences often tackle the concept of « power » with the help of L. Wittgenstein’s “Familienähnlichkeit” model. “Power” is depicted as a group of concepts not sharing a common core, but with overlapping characteristics. This is a valid approach for the analysis of medieval concepts of “power” who are only partially intertwined at their core. We can see this in the study of the different word groups reflecting different aspects of medieval power (such as “potestas”, “auctoritas”, “potentia”, “regnum” in Latin and their equivalent in vernacular languages.) With the help of those very carefully chosen words, even before they were written, maybe even as they were negotiated (for example, in the context of ceremonies), one could put space under control, legitimize power, construct a relationship with the people. One could create political categories and change them according to society’s reaction. There was however differences on how it was performed between Christian medieval societies. Depending on actual political changes, as well as the internal structure of each society, words designating “the power” appear with diverging co-occurrences. One of the best examples of those divergences can be found in the “vocabularies” of power in medieval Norway and Iceland. Sharing a common language – Old Norse – with a rich ensemble of word designating the “power” (vald, riki, stjórn, máttr, kraptr etc.), members of those societies preferred to describe their relations with the use of diverse groups of words. In general, the use of words designating the “power” is way more common in “Norwegian” sources compared to the Icelandic ones. Moreover in Norway, where kings had assimilated some clerical elements of the common governing body of Europe, as well as some other elements from the governments of other European countries, the meaning of words such as “vald” and “riki” tends to approach respectively the meaning of “potestas” and “regnum”. In Iceland those words are employed in descriptions of exceptional events (vald, in most case, as the power to give mercy) or in descriptions of Norwegian events. However we can see a common trait in those word’s usage in Iceland and Norway: they preserve the image of an ascending power (which we can see in verbs accompanying those words: koma á (“come under the power of someone”), gefa sig I (“surrender to the power of someone”), leggja á (“give oneself unto someone’s power”) whereas their latin equivalent reflects the model of descending power: concedere (“concede to the power of someone”), conferre (“confer the power to someone”), dare (“give the power to someone”) etc. Even if sources such as sagas, legal texts or official letters show us the different ways to construct political discourse and to present the rulers’ “power” they also give us insight on multiple medieval visions of what “power” consisted of, very distinctive of what we have today (with a less abstract conceptualization of power, with the perception of power as divisible and limited etc.) 
 
Résumé

Dans les sciences sociales on approche souvent le phénomène de « pouvoir » à l’aide d’un modèle de « ressemblance de famille » de L. Wittgenstein.1 Le « pouvoir » est présenté en tant qu’un groupe des concepts qui ne partagent pas une essence commune, mais qui ont des caractéristiques « chevauchées ». Cette approche est légitime pour l’analyse des concepts médiévaux de « pouvoir » qui ne s’entrecroisent par leurs essences que partiellement. On le voit lors de l’étude de l’emploi des ensembles des mots qui reflétaient les différents aspects des pouvoirs médiévaux (tels que potestas, auctoritas, potentia, regnum en latin et leurs équivalents dans les langues vernaculaires). A l’aide de ces mots, qui furent très attentivement choisis avant d’être écrits, peut-être même négociés (par exemple, dans les situations des cérémonies), on maîtrisait l’espace sous contrôle, on légitimait le pouvoir, on  construisait les relations avec le peuple, enfin, on créait les catégories politiques et on les changeait en fonction des réactions de la société, cependant on l’effectuait différemment dans les sociétés de la Chrétienté médiévale. En dépendance des changements politiques concrets, ainsi de la structure interne de chaque société et, par conséquence, de perceptions distinctes de ce que c’était le pouvoir, les mots désignant « le pouvoir » apparaissent entourés de cooccurrences divergentes. Un des meilleurs exemples de ces divergences présentent les «vocabulaires» de pouvoir de Norvège et d’Islande médiévales. Partageant une langue commune – l’islandais ancien – avec un ensemble riche de mots signifiant le « pouvoir » (vald, ríki, stjórn, máttr, kraptr etc.), les membres de ces sociétés préféraient décrire leurs relations en recourant à l’emploi des ensembles des mots divers. En général, l’emploi des mots désignait le « pouvoir » est beaucoup plus fréquent dans les sources « norvégiennes » qu’islandaises. En outre, en Norvège, où vernaculaires). les rois assimilaient certains éléments des modèles ecclésiastiques du gouvernement communs pour toute l’Europe, ainsi que certains éléments des modèles du gouvernement des autres pays européens, les sens de tels mots que vald et ríki tendent à approcher les sens des mots potestas et regnum respectivement. En Islande, ces mots sont employés dans les descriptions des événements bien exceptionnels (vald, dans la plupart des cas, au sens du pouvoir d’accorder la miséricorde) ou dans les descriptions des événements norvégiens. Cependant, on peut distinguer un trait commun dans l’emploi de ces mots en Islande et en Norvège: ces mots préservent l’image du pouvoir ascendant (on le voit au niveau des verbes qui entourent ces mots: koma á (« venir sous le pouvoir de quelqu'un»), gefa sig i (« se rendre au pouvoir de quelqu'un »), leggja a (« s’en remettre au pouvoir de quelqu'un »), tandis que leurs équivalents latins sont entourés de verbes reflétant le modèle du pouvoir descendant : concedere (concéder le pouvoir à quelqu'un), conferre (conférer le pouvoir à quelqu'un), dare (donner le pouvoir à quelqu'un) etc. Même si les sources tels que les sagas, les lois et les lettres officielles nous montrent les différents modes de construire le discours politique et de présenter le pouvoir des « dirigeants », elles nous présentent de multiples visions médiévales de ce que c’est le pouvoir, bien distinctes de celles de nos jours (par un caractère moins abstrait des concepts de pouvoir que l’on observe à nos jours ; par la perception du pouvoir en tant que divisible et limité etc.)

1This work was supported by the Power and Institutions in Medieval Islam and Christendom (PIMIC-ITN) Marie Curie Initial Training Network funded through the European Union Seventh Framework Programme ([FP7/2007-2013] under grant agreement n° 316732 . cf Haugaard M., Clegg S., Introduction : Why Power is the Central Concept of the Social Sciences,in Clegg S., The Sage Handbook of Power, p.4